Bonjour à tous,
Bon, cette fois ci, avec le confinement, la plupart d'entre nous a encore plus le temps d'écrire et d'échanger, ce que je vais donc faire.
Après vous avoir parlé de deux pièces issues du naufrage de HMS Association en 1707
https://fr.numista.com/forum/topic93708.html
je voulais vous présenter une autre pièce qui a, elle aussi, une provenance particulière.
Pour moi (des goûts et des couleurs...), je trouve que ce type est l'une des plus belles monnaies qui aient pu exister : la pièce de 8 reales de type «Columnarios» frappée à partir de 1732 à Mexico : 27g d'argent presque pur, un diamètre de 40mm, une tranche très spécifique.
https://fr.numista.com/catalogue/pieces15066.html
Cette monnaie de 8 reales (la fameuse « pièce de huit ») était LA devise du commerce international, en quelque sorte le dollar US de l'époque.
Sur l'avers, sont représentés les deux mondes, l'ancien et le nouveau, désormais réunis par la Couronne d'Espagne. Ces deux mondes, flottant sur des vagues, sont encadrés par les deux « Colonnes d'Hercule », qui représentaient sous l'Antiquité le détroit de Gibraltar, porte ouverte autrefois sur l'inconnu. Ces colonnes sont drapées par la devise latine de l'Espagne « PLUS ULTRA ». Certains pensent que le symbole du dollar ($) proviendrait des colonnes entourées des bannières. L'ensemble est surmonté de la mention « UTRA QUE UNUM »(« Les deux ne font qu'un »). Figure ensuite la marque d'atelier de Mexico, et l'année.
Au revers figure les mentions : « PHILIP V .D.G.HISPAN.ET.IND.REX » (« Par la grâce de Dieu, Roi d'Espagne et des Indes »), « MF » (marque de l'essayeur), 8, et l'Ecu d'Espagne.
Cet exemplaire est de 1736, c'est une type « flan large » qui pèse 26,50 grammes. Le demi gramme qui lui manque est resté au fond de la Mer du Nord, car elle provient d'une épave : Celle du Rooswijk (prononcez «ro:sveik») , disparu en Décembre 1739.
représentations du Rooswijk par Ralph Curnow
Ce navire faisait partie de la flotte de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales (VOC).
Il quitte l'Ile de Texel (faisant partie des Provinces Unies, grosso modo les actuels Pays Bas) en Décembre 1739 pour un périple qui devra le mener 8 mois plus tard à Batavia (Djakarta en Indonésie), en passant par la Mer du Nord, la Manche, l'Atlantique, le Cap de Bonne Espérance, puis l'Océan Indien.
A son bord, 250 personnes : des passagers, des commerçants, des membres d'équipage, des soldats.... et une petite fortune (officiellement déclarée dans le manifeste) qui correspondrait aujourd'hui à environ 80 millions d'euros, stockée près de la salle à manger des officiers, composée de lingots et de pièces d'argent espagnoles.
Au départ il s'agissait de barres d'argent de 1,9 kilos, provenant du Mexique alors sous domination espagnole. Elles ont ensuite été vendue aux Hollandais à Cadix et expédiées aux Province Unies, où elles furent ensuite fondues et converties en lingots d'argent portant l'empreinte de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales (“VOC”). Le trésor «rebadgé» fut ensuite chargé sur le Rooswijk, à destination de Batavia. Une fois là bas, une partie aurait été convertie en monnaie javanaise, tandis qu'une grande partie aurait été expédiée au Siam (Thaïlande moderne) ou au Bengale pour être convertie en monnaie locale. Le reste (notamment les pièces de 8 reales) aurait servi à l'achat de produits des colonies.
Lingot d'argent de la COV, Christie's
Mais le Rooswijk n'atteindra jamais sa destination.
Au nord du Détroit de Douvres, peu avant l'entrée dans la Manche, la mer cache une des spécificités des plus inhabituelles : Les Goodwin Sands (Banc de sable de Goodwin). Des bancs de sable apparaissent et disparaissent de façon imprévisible et se déplacent avec les marées et les courants. De nombreux navires au cours des siècles ont coulé ici et se sont envasés, et parfois, les restes de certaines épaves refont surface.
Le 19 décembre 1739 (selon le calendrier de l'époque), le Rooswijk est pris dans une tempête, dévie légèrement de sa route et s'échoue sur le banc de sable, qui affleure sous le niveau de la mer, un danger invisible.
Goodwin Sands - BBC News
Les marins feront tout pour alléger le navire et lui permettre de flotter à nouveau, en jetant par dessus bord tout ce qui était lourd. Ils ont commencé par jeter les canons et leurs boulets, mais en vain. Puis ce fut au tour des deux ancres, sans succès.
Le navire est soulevé par les vagues, et retombe plusieurs fois sur le sable, avant de se fendre, de pencher, puis de sombrer.
Des 250 passagers, il n'y eu aucun survivant.
Les premiers débris de l'épave furent retrouvés sur la côte sud de l'Angleterre, sans que l'on sache exactement où avait sombré ce navire. Il fut identifié comme étant le Rooswijk lorsque des pêcheurs trouvèrent un coffre en bois rempli de lettres, qui ne laissaient aucun doute sur la date du naufrage et sur le nom du navire.
représentation du Rooswijk, par Ralph Curnow
Cette catastrophe maritime fut un drame pour la COV, sur le plan humain, mais aussi financier.
En décembre 2004, par hasard, les sables qui avaient avalé l'épave du Rooswijk se dispersèrent et permirent au plongeur Ken Welling de récupérez deux coffres et des centaines de lingots d'argent. Un magnifique trésor, constitué également de pièces de huit reales, en parfait état et frappées pour le plus grand nombre entre 1735 et 1738, mais aussi de monnaies qui n'avaient théoriquement rien à faire sur ce navire: des ducatons néerlandais beaucoup plus anciens, et des pièces trouées...
pièces du Rooswijk - source: Historic England Cultural Heritage Agency of the Netherlands
Ducaton - source: Rooswijk 1740 project
Cette particularité suggère que les hommes d'équipage s'adonnaient à la contrebande d'argent, comme cela était très souvent le cas lors des grandes traversées maritime à l'époque. Ils cousaient les monnaies dans leurs vêtements pour les cacher durant le voyage, puis les revendaient dans les colonies des Indes Néerlandaises, qui n'avaient pas de mines d'argent.
Donc, si le montant officiel de l'argent présent à bord était évalué à 80 millions d'euros actuels, on pense que le total réel avoisinait les 110 ou 120 millions d'euros !
Malgré l'illégalité de cette pratique, celle-ci était néanmoins tolérée par la compagnie, car finalement la contrebande profitait à tout le monde, même indirectement.
Donc, lorsque vous tombez sur une pièce de ce type avec un trou, il y a de fortes chances qu'il soit d'époque.
En 2005, un plongeur sportif britannique, Ken Welling, trouve finalement l’épave principale. Le gouvernement néerlandais est alors contacté car, légalement, l'épave restait la propriété de la COV, puis des Pays Bas lorsque ces derniers ont repris la COV en 1798.
fouilles du Rooswijk - source: historicengland.org.uk
Le sauvetage s'est alors poursuivi en 2005 sous la direction de Rex Cowan (en accord avec les gouvernements néerlandais et britannique).
Les fouilles ont permis de récupérer tous les lingots d'argent, des centaines de pièces d'argent, et plus d'un millier d'objets divers (tôle de cuivre, de lames de sabre....)
Tous les objets récupérés ont fait l'objet (et c'est encore le cas actuellement) d'études archéologiques an Angleterre, avant d'être remis aux Pays Bas.
coffre en bois du Rooswijk
restauration de monnaies - source: Rooswijk 1740 project
A noter: on a retrouvé, à environ 200 mètres en amont de l'épave principale, les deux ancres du navire, presque ensemble, puis encore 200 mètres plus loin, les canons, regroupés là aussi... c'est cette découverte qui a permis de supposer que les membres d'équipage avaient tout fait pour essayer de sauver le navire du naufrage.
Des ossement ont également été découverts. A ce jour, seuls 11 des 250 passagers ont pu être identifiés, mais leurs noms n'ont pas encore été communiqués.
On sait néanmoins que le navire était commandé par le capitaine Daniel Ronzieres. Par ailleurs, grâce aux archives retrouvées, on a l'identité de 19 passagers, parmi lesquels: Gerrit Hendrick Huffelman, médecin; Thomas Huijdekoper, un jeune homme de 19 ans qui faisait son premier voyage; et Pieter Calmer, un marin qui avait déjà survécu au naufrage du Westerwijk (naufragé au Cap de Bonne Espérance).
Le site de l'épave est désormais protégé depuis 2007, et l'accès à la zone est très restreint.
Ci-dessous une vidéo des premières plongées en 2005 :
https://www.youtube.com/watch?time_continue=433&v=jrOjg5WRcmc&feature=emb_title
Pour aller plus loin en images, lien vers le Twitter de « Rooswijk 1740 project », consacré aux fouilles et à l'étude des objets retrouvés:
https://twitter.com/hashtag/rooswijk1740